vendredi 16 novembre 2007

La conduite à tenir



J'ai été dépendante des déplacements des autres durant des années.
Du coup, le jour où j'ai eu mon permis en poche et une voiture bien à moi, j'ai pris la tangente façon fugue ... "bon, euh ... j'vais faire un tour en ville !"

J'avais rempli ma voiture comme certains clodos leur chariots, durant la nuit ... comme une voleuse.
Je suis allée jusqu'à la gare de Montauban où m'attendais incognito mon complice.
Enfin ... "incognito" : vieil imper', jean délavé et bonnet rastafaria !
Comme quoi "incognito" ne veut pas forcément dire "discret", hi hi hi !

Bref.
Ce matin-là, je prenais pour la première fois la route parce que je le voulais, pour aller où j'avais choisi de diriger mes pas ...
C'était le début d'une liberté toute neuve, inconnue à ce jour ... et si grisante.

Je crois bien que c'est là, sur l'autoroute Toulouse-Perpignan, alors que mon ange d'ombre s'endormait doucement, que j'ai pris goût à la conduite.

"J'aime conduire : c'est le seul moment de ma vie où j'ai l'impression de contrôler quelque chose" disais-je à un ami.
Cela tient parfois de la thérapie : c'est quand je suis seule, une interminable bande de bitume de déroulant devant moi, que je peux penser calmement.
Conduire me rend sereine.

Certains chantent sous la douche, moi c'est en voiture que je m'égosille et maltraite les grands standarts.

J'ai beaucoup de souvenirs "magiques" de trajets ... comme des films passés sur l'écran du pare-brise, rien que pour mes yeux avides d'images.
Suivre un rapace sur 500 m sur une route de montagne encaissée.
Compter les souris des champs qui traversent à la lumière de mes phares.
Saluer le mont Canigou couvert de neige sur le périphérique perpignanais.
Admirer les lumières de la ville rose, scintillantes dans l'aurore hivernale.
Perdre le ciel de vue dans les forêts pyrénéennes.

Puis s'arrêter enfin.
Sur une aire d'autoroute, prendre un café dans un distributeur quelconque, puis m'asseoir sur le toit de ma vieille Talbot et regarder les étoiles sous l'oeil intrigué des passants qu'ils soient routiers ou touristes.
Parfois dormir un peu.

Et parfois, ne pas voyager seule ... et parler.
Des heures durant, rater la sortie de l'autoroute, être en retard, se perdre et en rire de bon coeur.
Aux confidences sur l'oreiller je préfère les confidences au volant.
Car, tout comme les trains, un habitacle automobile est un lieu hors du temps et de l'espace, c'est un petit lieu confortable où l'on n'est nulle part sauf ici et maintenant.

C'est un petit espace bien clos où la liberté régne.
C'est l'instument de mon indépendance.
C'est l'expression de mon libre-arbitre.


Je me souviens de cette route, entre Sète et Perpignan, sous une tempête apocalyptique, ciel noir et purée de pois ... là, dans cet abri de métal, mes trois passagers paisiblement endormis ... et moi, au volant, flattée par leur confiance malgré le déluge et mon appréhension.
J'étais la gardienne de leur sommeil.

-> à lire : "Zen & Art of Motorcycle maintenance" de Robert Pirsig.

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